Les commentaires de nos équipes
POINT MACRO
Investir en temps d'incertitudes
Les cygnes noirs volent en volée. De février 2020 à février 2022, du coronavirus à l’invasion russe. La volatilité, en encéphalogramme plat entre l’été 2012 et février 2020, a repris des couleurs.
Et dans cet environnement, le jeu de la prédiction économique ou boursière, déjà difficile en temps normal, prend de sérieux airs de bandit manchot. La quantité de paramètres économiques, financiers, géopolitiques et psychologiques à prendre en compte est infinie et rend illusoire de penser pouvoir prédire où se situera le marché à la fin du mois, ou à la fin de l’année.
Plus abordable, mais loin d’être simple, l’exercice de savoir ce que le marché anticipe nous semble plus intéressant.
Mais d’abord, quelques éléments macroéconomiques qu’il faut garder à l’esprit.
Si l’on compare par rapport à la clôture du mercredi 23 février, la baisse drastique a été suivie d’un rebond marqué et les indices européens ont globalement reculé de 2% à 4% à la clôture du 16 mars.
Les anticipations de la croissance économique 2022 pour la zone Euro sont passées de +4.1% à +3.1% (source Oxford Economics).
Une révision spectaculaire en quelques jours.
Mais est-ce que ces révisions à la baisse vont se poursuivre ? Une nouvelle fois, très difficile à dire. Il peut être utile de s’appuyer sur une règle décrite par les analystes d’Exane
- Chaque progression de 10 dollars du baril de pétrole a un impact négatif de 0.2 pts de croissance du PIB. Entre le 23 février et le 16 mars, le baril est passé de 90 USD à 100 USD, soit une hausse de 10 USD, qui coûterait, si le baril se maintient à ce niveau-là, environ 0.2 pts de croissance du PIB
- Chaque progression de 30% du prix du gaz a également un impact négatif de 0.2 pts de croissance du PIB. Donc la hausse de 30% du prix du gaz a un impact d’environ 0.2 pts de croissance du PIB.
Donc, très grossièrement, on peut estimer que l’énergie, si les prix actuels se maintiennent, aura un impact d’un peu moins 0.4 pts de pourcentage sur la croissance du PIB.
A cela s’ajoute l’impact des sanctions. Une nouvelle fois difficile à estimer, d’autant plus que la situation évolue jour après jour. Mais ce qui ressort de l’analyse de plusieurs économistes est un impact d’environ 1 pt de pourcentage sur la croissance du PIB.
Soit au total, une révision à la baisse des attentes de croissance entre 1 et 1.5 pts en 2022.
Nous pensons donc qu’il est tout à fait envisageable que les révisions à la baisse des attentes de croissance pour 2022 et 2023 se poursuivent dans les prochaines semaines.
Mais tout ceci se fait selon l’hypothèse d’un prix du baril qui oscillerait dans un corridor compris entre 95 et 105 USD par baril. Toute sortie de ce corridor, dans un sens ou dans l’autre, modifierait ces éléments.
Quid de l’inflation ?
La surchauffe liée à la forte reprise post Corona et aux différentes tensions sur les chaînes d’approvisionnement avait entraîné une hausse marquée de l’inflation. Alors qu’on pouvait légitimement espérer un léger tassement dans les prochains mois, il faut dorénavant l’oublier.
La composante énergétique de l’inflation va flamber, mais pas uniquement. L’envolée du prix du blé, ou de certains métaux ou matières premières, aura également un impact fort sur les prix de denrées alimentaires et autres biens de constructions.
La révision des attentes d’inflation de la BCE de 3.2% à 5.1% pour l’inflation en zone euro en 2022 ce 10 mars va dans ce sens.
D’où le risque grandissant du fameux scénario de Stagflation, avec un ralentissement de la croissance combiné à une inflation grandissante.
Même si on réduit de 2 points les prévisions de croissance de la zone euro d’avant la crise ukrainienne, on atterrit à 2.1% de croissance, ce qui reste toujours supérieur à la croissance potentielle long terme de la zone euro (autour de 1.7%). Mais toute dérive est à surveiller de près.
Que vont faire les Banques Centrales ?
La dichotomie est forte de part et d’autre de l’Atlantique.
- Aux Etats-Unis
- La croissance américaine sera vraisemblablement moins affectée. Le pays étant producteur de pétrole, la hausse de 10 dollars du baril de pétrole n’a qu’un impact négatif de 0.15 pts de croissance du PIB. Par ailleurs, le pays sera beaucoup moins touché par les sanctions, le poids de la Russie étant bien plus faible dans son activité que dans l’activité européenne.
- L’inflation reste et continuera d’être galopante. Avec, contrairement à l’Europe, des hausses de salaires plus marquées étant donné la tension sur les ressources humaines, avec des niveaux d’offres d’emplois et de démissions sur un plus haut historique. Et cela crée donc des risques accrus de boucle prix/salaire, cauchemar d’une Banque Centrale
- Il nous paraît donc probable que, même si le rythme des hausses des taux sera ralenti par cette crise, la Fed poursuive dans cette voie. La réunion du 16 mars a confirmé cette tendance avec l’annonce de sept hausses des taux d’ici à la fin de l’année, ainsi que trois ou quatre autres l’an prochain.
- En Europe
- La croissance sera plus durablement touchée et l’inflation salariale n’apparaît pas dans les chiffres pour le moment.
- Cela justifierait un ralentissement plus marqué que celui de la Fed dans la route vers la normalisation des taux.
- Cependant, si l’inflation devient galopante la situation pourrait changer. La réunion du 10 mars a d’ailleurs surpris le Marché, avec l’annonce d’une accélération de la réduction des achats d’obligations face à l’envolée de l’inflation.
- Mais la BCE a rappelé qu’elle restait flexible et qu’elle pourrait revoir sa stratégie en fonction de l’évolution de la conjoncture économique
Quel impact sur les Bénéfices par Actions (BPA) ?
Historiquement, les variations du PIB expliquent la moitié des variations des BPA. Pour 2022, les éléments complémentaires à prendre en compte sont:
- Une croissance des ventes plus faible entraînera un levier opérationnel moins important que prévu et donc une révision à la baisse des BPAs plus que proportionnelle
- La hausse des coûts de l’énergie aura un impact sur la base des coûts
- Certains coûts marketing et commerciaux qui avaient été réduits à peau de chagrin (voyages, évènements…) vont revenir
- Ne pas oublier que les marges des entreprises ont atteint un niveau record en 2021
Il nous paraît donc raisonnable d’estimer que la révision à la baisse du PIB d’environ 1.5 pts entraînera une baisse des attentes des BPA d’au moins 5%.
Où en sont les valorisations ?
Les analystes n’ayant pas encore eu l’occasion de réviser à la baisse leurs attentes de résultats, le niveau de multiple affiché par les bases de données n’est pas pertinent.
Mais avec un calcul de coin de table, avec la baisse de 2-4% des marchés depuis le début de cette crise, si on fait l’hypothèse de révision à la baisse des BPA de plus de 5%, le re-rating des multiples a été assez faible, de l’ordre de quelques pourcents.
A noter que dans un contexte de probable remontée des taux, les niveaux de multiples avaient déjà fortement baissé depuis le dernier trimestre 2021. Si l’on prend l’exemple du Stoxx 600, le multiple P/E 12m, était passé de 17x en moyenne 2021 à 14x. Avec le léger re-rating lié à une révision probable des BPA plus forte que la baisse de ces derniers jours, nous estimons que nous sommes à 14.2x les bénéfices, soit en ligne avec la moyenne des 20 dernières années (14.2x).
Si l’on résume cette analyse macroéconomique, avec sa baisse de 2 à 4%, le marché semble avoir pricé une révision à la baisse de 1 pt de la croissance économique estimée avant crise. Les niveaux de valorisation n’ont quasiment pas bougé, mais sont en ligne à leur moyenne long terme.
Bien entendu, cette analyse se veut dynamique. Chaque mouvement violent sur les prix de l’énergie, le niveau de consommation ou de nouvelles sanctions peut changer nos conclusions.
Comment nous positionnons nous ?
Difficile d’avoir une vision claire tant que la poussière n’est pas retombée. Mais la volatilité mentionnée plus tôt est Mère d’inefficience. Et c’est fréquemment dans ces moments où le niveau de visibilité est le plus faible que les plus belles opportunités se présentent.
Au niveau sectoriel, le ralentissement économique marqué qui devrait découler de cette crise nous pousse à réduire l’exposition au cycle de nos portefeuilles. Nous avons donc réduit notre exposition au secteur des biens industriels, mais également aux financières.
Par ailleurs, comme indiqué plus haut, la part des dépenses contraintes des ménages (se déplacer, se nourrir, se loger… ) risque d’augmenter. Mécaniquement cela laissera moins de place aux dépenses discrétionnaires. Il y a un coussin d’amortissement qui provient de l’épargne accumulée au cours des deux dernières années, mais nous pensons quand même que le manque de visibilité va pousser les ménages à décaler certaines décisions d’investissement ou de consommation non contrainte.
En conséquence, nous avons également réduit notre pondération sur le secteur de consommation discrétionnaire.
Nous conservons toutefois nos convictions sur nos thèmes d’investissement :
- La décarbonation , qui devient maintenant plus largement la désensibilisation aux énergies fossiles, surtout quand elles proviennent de Russie.
- Il va falloir consommer moins d’énergie et tous les acteurs dans nos portefeuilles positionnés pour la meilleure isolation des bâtiments comme Saint Gobain, Recticel, Sto ou Steico vont bénéficier de plans d’investissements qui vont être accélérés.
- Et il va également falloir augmenter nos capacités de production et de stockage d’énergie, que ça soit de la production d’énergie verte (Rubis, EnergieKontor, Total) ou recourir à l’utilisation grandissante de GNL (GTT)
- Le Pricing Power: le contexte inflationniste va être exacerbé et seules les entreprises avec un véritable pricing power seront capables de maintenir des marges élevées dans les prochains trimestres
- Digitalisation: ce thème séculaire va continuer de bénéficier des investissements à venir pour la digitalisation de l’Europe. Cela offre une belle dynamique de croissance visible qui sera recherchée dans un environnement incertain. Cependant nous continuons, sur ce thème, de privilégier les sociétés avec des multiples de valorisations raisonnables par rapport à la croissance (ratio PEG<2). L’éventuelle poursuite de la hausse des taux longs continuera de peser sur les valorisations les plus élevées.
- Situation spéciale: un thème acyclique par excellence, des sociétés avec beaucoup de trésorerie disponible pourront bénéficier de la baisse des valorisations pour faire des emplettes et débloquer de la valeur.
Nos poches de trésorerie ont été augmentées, afin de pouvoir saisir toute opportunité d’entrée sur des sociétés de qualité avec un potentiel de croissance long terme attractif et une valorisation redevenue intéressante après les corrections récentes.
Il va être primordial, dans les prochains mois, de sélectionner des entreprises qui auront la capacité à poursuivre leur création de valeur, malgré un environnement qui s’annonce incertain. Des sociétés capables de maintenir leur croissance, tout en maintenant ou améliorant les marges, grâce à leur pricing power, leur effet de levier ou leur expertise opérationnelle.
Nous avons, par exemple, récemment investi dans la société Barco, dans les fonds Erasmus Mid Cap Euro et Erasmus Small Cap Euro. Cette belle société de croissance historique avait été fortement chahutée depuis la crise du Coronavirus. Le groupe possède plusieurs activités, de la santé à l’équipement technologique de bureaux. Mais son activité de vente des vidéoprojecteurs pour cinéma avait été fortement touchée par la baisse des CAPEX des salles à la suite des multiples fermetures. La reprise est là et nous pensons que la croissance des ventes va s’accompagner d’une amélioration des marges, grâce à une meilleure absorption des coûts fixes.
Nous continuons, chez Erasmus, de pouvoir nous appuyer sur une équipe renforcée d’analystes et gérants Small & Mid Caps, avec six personnes dédiées, traqueurs d’inefficience et en quête perpétuelle de nouvelles idées remplissant tous les critères que nous avons décrits.
Aymeric LANG
Gérant
Ecriture achevée le 16 mars 2022